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Interview avec Rémy M.Larochelle - Mai 2004

Rémy M.Larochelle - Mai 2004

Kérozène : ""MECANIX" est ton premier long métrage, peux tu nous dire quel est ton parcours et comment tu en est venu à réaliser "MECANIX" ?"

J'ai toujours eu un engouement pour l'art grotesque, bizarre et violent. Je lis beaucoup de comix et j'avais dans l'idée de faire une B.D. complètement éclatée, violente et esthétique. Cette idée a fait son chemin à l'intérieur de mon cerveau pendant plusieurs années. J'aime beaucoup peindre et dessiner, mais ces deux médiums n'étaient pas assez complets pour que je puisse réaliser l'idée qui se cachait dans ma tête à cette époque.
Cette idée avait évolué. Je voulais maintenant faire un film esthétique et violent. Un film bizarre, quelque chose comme un film d'art et "gore". Et je sentais que ce projet devait être un long métrage. Alors je me suis mis à faire des croquis et des ébauches de storyboards. J'ai commencé à tourner des flashs visuels grotesques sans vraiment avoir d'histoire. Je m'étais dit qu'il était possible de tourner un long métrage sur une longue période, de cette façon je pourrais répartir les coûts. Alors de flash en flash un univers s'est créé et petit à petit une histoire étrange a pris naissance. Le tournage de "MECANIX" a été réparti sur plusieurs années. J'ai été prisonnier de mon cauchemar pendant quatre ans.

Kérozène : "L'univers et l'esthétique du film sont très particuliers, ce qui permet à "MECANIX" d'être un film unique en son genre. Quelles sont tes sources d'inspiration ?"

J'ai tout d'abord été influencé par les B.D. de Dave Mckean et les peintures de Camille Rose Garcia. Je voulais faire un film sombre et étrange comme leurs oeuvres. J'ai visionné beaucoup de films pour me donner une idée du genre et du style. Je pense qu'il est important de voir le travail des autres artistes et de lire sur eux et leur vision afin d'avoir une meilleure compréhension du médium. Faire un film violent et esthétique est un concept risqué dans le sens ou c'est facile de tomber dans le ridicule. De plus je voulais le traiter comme un film d'art. Alors j'ai visionné beaucoup de films de ce genre. Les vidéos de Tool par exemple ont été un élément déclencheur, même si techniquement ils sont beaucoup plus soignés que ce que je pouvais espérer arriver à faire pour "MECANIX" à cette époque. Mais je crois que l'on voit l'inspiration, surtout avec les marionnettes de latex. Svankmajer avec "ALICE" m'a prouvé qu'il était possible de réaliser un long métrage sombre et surréaliste sans avoir un gros budget, mais plutôt en étant ingénieux.
Ma plus grande influence pour "MECANIX" est Shinya Tsukamoto. J'ai trouvé ce que je cherchais. La connexion de l'univers grotesque, bizarre et esthétique était là. Je ne pourrais pas vous cacher que les frères Quay m'ont influencé beaucoup aussi.
Je n'ai parlé que de l'influence visuelle, mais "MECANIX" n'est rien sans le son que Daniel Lagacé a créé. J'ai laissé Daniel libre de faire ce qu'il voulait comme univers sonore et je dois dire que son imagination a dépassé tout ce que j'aurais pu imaginer. Il voulait que chaque élément ait son propre son et ce fut un travail ardu étant donné le matériel visuel de "MECANIX". Les dialogues ont été écrits par Mélissa Hébert, elle s'est beaucoup inspirée d'Alain Renais. Comme vous pouvez le constater "MECANIX" a été nourrit par plusieurs sources !

Kérozène : "Techniquement, le film semble hybride. Il mêle prise de vue réelle, et animation image par image datant d'un autre âge, quelles sont les différentes techniques que tu as utilisées ?"

La plupart des images composites ont été réalisées intra-caméra. Pour simplifier : l'animation, et les acteurs ont été combinés à la même image "on the set". La technique est simple, facile à exécuter et surtout peu coûteuse car elle ne nécessite aucune autre manipulation en post-production. Le procédé consiste à tourner l'animation tout en cachant la section de l'image où l'acteur va se trouver. Puis on rembobine le film à sa position d'origine et on cache la partie de la l'image où se trouve notre animation, et on tourne la partie de l'acteur. Le générique du début et la séquence qui précède la neige ont été réalisés à la tireuse optique.
L'hallucination est la partie technique que je préfère. Pour ce segment j'avais construit un genre de tireuse optique avec un projecteur, une bolex et un écran translucide en papier de riz. L'écran étant beaucoup plus grand que celui d'une tireuse optique ce qui me permettait de dessiner directement sur l'image ou tout simplement de jouer avec des sections de celle-ci. De plus le papier de riz accentuait l'écart entre le blanc et le noir tout en rajoutant de la texture. Pour ce qui est de l'animation, les marionnettes sont fabriquées en latex et leurs armatures sont en fil de fer. Les décors sont fait en carton comme ceux des films expressionnistes.
"MECANIX" a été entièrement tourné avec des bolex. Jusqu'à présent l'ensemble des techniques datent d'une autre époque. Mais c'est une fois l'image en boîte que moi et mon producteur devions prendre des décisions techniques pour la post-production. Tourner avec des techniques de l'âge d'or c'est cool, mais on ne peut pas faire le son de cette façon. De plus finir le film sur pellicule nous semblait une dépense inutile.
"MECANIX" n'est pas le genre de film qui aura une vie en salle de cinéma, il vivra plutôt en DVD comme la majorité des films underground. Après une longue discussion avec Philippe Chabot (producteur) et ses collègues qui eux considéraient que la copie de travail de "MECANIX" ajoutait à l'esthétique vieillot du film, avec ses scratches et ses poussières, nous avons pris la décision de ne pas faire de coupage négatif et de faire digitaliser la copie de travail. La teinte sépia et la calibration du film ont été fait avec da Vinci. De plus le son est en 5.1. Plutôt actuel pour un film qui semble sortir tout droit des archives du début du 20ième siècle.

Kérozène : "Le film est assez déstabilisant. Il est visuellement très agressif avec ses animations brutes, ses créatures bioméchaniques et ce monde torturé, et pourtant, on a l'impression qu'une sorte de grande douceur y règne contradictoire, notamment grâce à l'utilisation des rares voix présentes dans le film. Pourquoi ?"

Mon concept visuel était de faire une violence visuelle esthétique. Une image torturée et belle. Comme si la souffrance était quelque chose de beau et de merveilleux ! Je ne sais pas jusqu'à quel point j'ai pu réussir avec les moyens que nous possédions. Uniquement le fait de réaliser un film grotesque underground qui ne fait pas rire et qui ne fait pas prétentieux est une tâche compliquée. "MECANIX" est un film dérangeant pour plusieurs raisons. L'image est brute, tremblante et il y a beaucoup de violence gratuite. De plus c'est un film lent et répétitif. J'ai utilisé cette stratégie pour recréer l'expérience que l'on ressent quand nous sommes coincés dans un cauchemar. Je ne sais pas pourquoi tu ressens de la douceur. "MECANIX" traite de la peur que les hommes ont d'eux-mêmes. C'est le cauchemar des hommes ; se faire contrôler par des machines.
Perdre leur liberté. La disparition de la nature pour un environnement mécanisé et robotisé. Le film est beaucoup plus nébuleux et moins explicite, mais je crois que l'on en saisie la thématique. C'est vrai que les voies utilisées sont très rassurantes et c'est peut-être ce qui te donne l'impression de douceur. Pour ma part je n'ai jamais eu l'intention de rendre "MECANIX" doux. Mais je suis très heureux si c'est ce qui en découle.

Kérozène : "Le sujet semble être inspiré de quelques grands thèmes bibliques, est-ce le cas ?"

Certaines personnes voient une relation avec la genèse ! Je vois un lien avec l'enfer, car dans "MECANIX" on torture, on soufre, mais on ne meurt pas. C'est une souffrance éternelle.

Kérozène : "Au niveau de la production, comment s'est passé la mise en place et le déroulement du projet ?"

"MECANIX" a été tourné sur une période de 4 années. J'ai tout d'abord tourné un 15 minutes (la séquence de l'oiseau) avec de l'équipement de Concordia (l'Université de Montréal, ndr). Puis j'ai travaillé comme assistant réalisateur sur un court métrage d'Alexandre Guériguan. Le producteur de ce projet digital de 10 000$ était Philippe Chabot. En discutant budget ensemble et en lui montrant ce que j'avais tourné, je l'ai convaincu qu'il était possible de tourner un long métrage d'horreur expérimental pour la somme de 10 000$. Philippe, après avoir visionné la séquence de l'oiseau et l'hallucination a pris la décision d'embarquer sur le projet.
J'avais maintenant un producteur et 4 années plus tard un grand ami qui partage les mêmes visions du cinéma underground. Pour ce qui était du budget de 10 000$ c'était une utopie. Ce qui est le plus difficile quand on tourne sur une longue période c'est d'avoir notre équipe. Il faut s'ajuster aux disponibilités des gens afin que les dates de tournage nous permettent d'avoir le plus de membres de notre équipe. Et pour compliquer la tâche, mon acteur Stéphane Bilodeau était parti vivre à New York pendant cette période. Si vous vous demandiez pourquoi nous avions deux directeurs photo sur "MECANIX" et bien c'était pour s'ajuster à leur disponibilité. Une fois la production de "MECANIX" terminée et un budget de plus de 30 000$ nous devions passer en post-production. Heureusement que Daniel Lagacé notre monteur sonore avait commencé à travailler sur des montages préliminaires. De cette façon nous avons pu approcher l'ONF (l'Office national du film du Canada, ndr) pour qu'il nous aide à finaliser le film : le montage, le mixe 5.1 et le transfert beta digital. La post production a été réalisée sur une période de 6 mois et a coûtée 45 000$. Donc "MECANIX" est un film à petit budget : 75 000$.

Kérozène : "Quel est à ce jour l'avenir de "MECANIX" ?"

Bien entendu moi et Philippe aimerions que "MECANIX" soit acheté par une compagnie de distribution underground. "MECANIX" n'est pas un film conventionnel. C'est un film lent et répétitif ce qui le rend difficile d'accès. Ce n'est pas un film pour tout le monde, il demande une bonne concentration et un goût prononcé pour le "noise et le gore". Pourtant jusqu'ici les réactions ont été positives.
Le public et les juges du festival underground de Lausanne ont été très impressionnés. Le comité de sélection du New York Horror films festival nous a envoyé une lettre d'appréciation du film malgré le fait qu'il ne nous a pas sélectionné. (Malheureusement "MECANIX" n'est pas assez traditionnel comme film d'horreur pour faire partie de leur sélection). Nous avons été sélectionnés pour Fantasia 2004 par Mitch Davis, ont verra quelle sera la réaction de cet auditoire. L'avenir de "MECANIX" est définitivement sur DVD et comme tout film underground son ascension sera lente. J'espère que "MECANIX" aura une longue vie et ne tombera pas dans l'oubli.

Kérozène : "Quels sont tes futurs projets cinématographiques ?"

Présentement je travaille sur un autre long métrage underground. Se sera un film qui combine encore l'animation et l'action réelle. Un film couleur, urbain et surréaliste. Je finalise le storyboard. Ce sera un film narratif tout en restant dans l'imagerie grotesque. J'ai commencé la confection des marionnettes principales et je dois dire que le niveau de détail sera supérieur à "MECANIX". C'est un film sur l'angoisse de la création indépendante. J'aimerais vous dire que le tournage se terminera en six mois, mais se sera une autre aventure de longue haleine. Je peux te confirmer que Philippe Chabot sera encore le producteur et que se sera encore une fois un film éclaté et différent.


Interview réalisée par Kerozene
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